Contrairement aux idées reçues, les matières organiques ne permettent pas d’augmenter la taille du réservoir en eau du sol, sauf en sol sableux. En revanche, les matières organiques sont bénéfiques aux sols, notamment pour favoriser le remplissage du réservoir. Un bon taux de matière organique en surface est en effet important pour favoriser l’infiltration de l’eau.
Les racines des cultures ont besoin d’eau et d’oxygène. Les conditions sont optimales quand le sol renferme à la fois de l’air et de l’eau disponible. Ce printemps, la forte pluviométrie a conduit à des sols gorgés d’eau où les cultures sont asphyxiées. Quand les pores sont saturés d’eau, les racines manquent d’oxygène.
À l’inverse, la plupart des années récentes ont été marquées par de longues périodes sèches où l’eau résiduelle, très liée à la phase solide du sol, n’était pas absorbable par les racines. Avec le dérèglement climatique, la fréquence des années avec des évènements extrêmes, période trop humide, période trop sèche, augmente. Une solution souvent avancée est de recourir à des pratiques culturales qui augmentent la teneur en matière organique du sol, pour gagner en résilience : apports de produits organiques, restitution des pailles, couverts végétaux en interculture par exemple.
L’argument souvent mis en avant est que la matière organique augmente la teneur en eau du sol et diminue donc la sensibilité des cultures à une période de sécheresse. C’est un raccourci imprécis. Une analyse de soixante études scientifiques a montré qu’en réalité, seuls les sols sableux voient leur disponibilité en eau pour les cultures augmentées avec leur stock de matière organique. Le stock total d’eau augmente effectivement, mais la fraction d’eau fortement liée à la phase solide du sol aussi, celle qui n’est pas disponible pour les racines.
Dans les sols limoneux ou argileux, le stock d’eau disponible (RUM : réservoir utilisable maximum) n’augmente quasiment pas avec le stock de matière organique. Augmenter le stock de matière organique, même s’il présente beaucoup d’autres avantages agronomiques, n’est en général pas un levier pour favoriser la capacité du sol à retenir et restituer l’eau aux cultures.
Ne pas diluer la matière organique
Cependant, les matières organiques ont un rôle important pour favoriser l’entrée de l’eau dans le sol, c’est-à-dire remplir le RUM. La structure du sol en surface doit être ouverte pour que l’eau s’y infiltre. Les agrégats doivent être bien formés et solides, sinon ils s’écrasent avec la pluie et forment une croûte de battance imperméable. La pluie qui tombe sur un sol battu ruisselle hors de la parcelle et est perdue pour la culture.
Les matières organiques et l’activité biologique sont nécessaires à l’agrégation. C’est la teneur en matière organique en surface qui est primordiale pour maintenir une bonne perméabilité, surtout en sol très limoneux, particulièrement sensible à la battance. Toute pratique qui vise à enrichir le sol en matière organique y est favorable. Pour ce faire, il faut injecter du carbone organique dans le sol : apports d’amendements organiques (fumiers, composts, digestat solide…) ou production et restitution au sol de biomasse végétale (couverts végétaux en interculture, restitution des pailles et autres cannes de maïs, forts rendements des cultures produisant des biomasses conséquentes de racines).
Ces pratiques sont à envisager de façon répétée sur le long terme, car le taux de matière organique du sol augmente lentement. Pour un impact maximum, il est important de ne pas diluer la matière organique par un labour profond. Le semis direct permet même de concentrer la matière organique dans les premiers centimètres du sol et de diminuer sa battance. De plus, en non labour, la présence physique de résidus de culture en surface freine le ruissellement et favorise l’infiltration de l’eau. Ces résidus reflètent aussi une partie du rayonnement solaire qui atteint le sol, limitant ainsi son réchauffement et les pertes d’eau par évaporation. Par conséquent, en non labour, les résidus de culture en surface augmentent les quantités d’eau entrant dans le sol et diminuent les pertes, simultanément.
Par ailleurs, la biomasse fraîche, de type engrais vert, a aussi un effet d’agrégation rapide lors de son incorporation au sol. L’activité des micro-organismes est en effet stimulée et ils produisent des substances organiques «collantes». Cette agrégation rapide est également fugace, mais elle s’ajoute aux effets long terme de la matière organique. La biomasse végétale est aussi la source d’alimentation d’autres organismes du sol, comme les lombrics, qui ont un rôle dans l’infiltration de l’eau par leurs galeries verticales.
Cependant cette eau infiltrée quitte parfois la zone d’exploration racinaire, ce qui est positif en sol qui ressuie lentement, mais négatif si la période est à la sécheresse et que l’objectif est de conserver l’eau dans le sol.
Combiner les leviers
Le dernier aspect à prendre en compte pour augmenter l’eau disponible pour les cultures est la capacité des cultures à capter l’eau. En effet, il ne suffit pas d’avoir un sol qui infiltre l’eau, qui la retient et la restitue bien, il faut aussi que les racines explorent l’ensemble du profil de sol pour avoir accès à l’eau. C’est la notion de RU, Réservoir Utilisable accessible aux cultures, qui dépend de l’architecture racinaire de l’espèce cultivée et de l’état structural du sol. Si le travail du sol et l’attention prêtée au tassement du sol sont primordiaux pour que les racines aient accès au plus grand volume de sol possible, le taux de matière organique dans les vingt premiers centimètres du profil joue aussi un rôle dans la porosité.
En conclusion, contrairement aux idées reçues, augmenter le stock de matière organique du sol n’augmente pas le RUM, sauf en sol sableux. Cependant, un sol avec un bon taux de matière organique en surface infiltre mieux l’eau qui ruisselle moins en dehors de la parcelle. Épandre du fumier, du compost ou du digestat solide, implanter des couverts intermédiaires, restituer les pailles, couvrir le sol le plus longtemps possible pour maximiser la photosynthèse sont des pratiques culturales qui, répétées, vont y contribuer. Concentrer la matière organique en surface par le non labour également. Augmenter le taux de matière organique n’est pas la solution miracle pour augmenter l’eau disponible pour les cultures en période de sécheresse, mais elle y contribue et doit être combinée à d’autres leviers (pas de tassement des sols, résidus de culture en surface, absence de longue période de sol nu exposé à la chaleur et à l’oxydation…).
Anne SCHAUB – CRAGE