SCEA des Avisses : une nouvelle vie à la ferme avec 200.000 escargots

C’est au rythme lent mais sûr des escargots que Florence et Thomas Jeannot ont construit leur nouvelle vie. À Brabant-en-Argonne, le couple a décidé de lancer une activité d’héliciculture, en complément des grandes cultures déjà en place sur la ferme. Une reconversion audacieuse pour Florence, ancienne infirmière, qui transforme avec soin chaque escargot, du parc d’élevage à l’assiette.

Après une carrière passée à l’usine, Thomas Jeannot s’installe en 2015 sur la ferme de son oncle, où il devient céréalier. Son épouse, Florence, attendra encore quelques années avant de le rejoindre. C’est finalement en 2024, après vingt ans d’exercice en tant qu’infirmière, qu’elle décide de changer de voie et de se reconvertir.
À l’issue d’une formation suivie à Besançon, elle s’installe aux côtés de son mari en tant qu’hélicicultrice. «Nous avions envie de travailler ensemble», confie-t-elle. C’est ainsi qu’est née la SCEA Les Avisses à Brabant-en-Argonne, réunissant leurs deux activités agricoles.
«C’est un atelier qui s’intègre parfaitement dans le calendrier des cultures céréalières», explique Thomas Jeannot. La période plus calme, entre novembre et février, lui permet d’être davantage disponible pour la phase de transformation. Mais avant d’en arriver là, il faut d’abord passer par l’élevage.

Quatre mois avant la récolte

L’an dernier, pour leur première saison d’exploitation, le couple a accueilli 100.000 escargots de la race Gros Gris. Forts du succès rencontré, ils ont choisi de doubler la production cette année : 100.000 jeunes escargots ont été livrés le 23 avril, puis autant un mois plus tard, afin d’étaler la récolte sur une période plus longue.
Et ils ont de l’espace. Les escargots sont élevés au cœur d’un parc de 1.000 m², situé en lisière de forêt et à proximité d’une rivière, dans un environnement dont l’hydrométrie est adaptée à leur développement. Les petits gastéropodes arrivent nés sains en 48h et sont installés dans des enclos électrifiés équipés de panneaux en bois, où ils peuvent s’abriter.
Ils y resteront environ quatre mois avant la récolte. Chaque jour, ils sont nourris avec une farine spécialement formulée à base de blé, d’orge et de colza, enrichie en calcite pour renforcer leur coquille. Mais ils se régalent aussi de l’herbe présente dans les parcs.
Pour les observer, mieux vaut venir en fin de journée, lorsque l’arrosage automatique entre en action : l’humidité incite alors les escargots à sortir de leur coquille. En journée, en revanche, ils préfèrent se cacher sous les planches pour se protéger de la chaleur.
L’éleveuse estime à environ 30 % le taux de perte annuel, qu’il soit dû à des causes naturelles ou à des prédateurs comme les rats, les souris ou les crapauds. Le couple n’a toutefois pas installé de filets de protection contre les rapaces, leur impact restant limité. Pour prévenir tout risque sanitaire, les éleveurs évitent d’entrer directement dans les parcs.
À la mi-août, une tout autre phase du travail commence pour Florence Jeannot. Elle repère les escargots «bordés», c’est-à-dire ceux qui ont formé une petite collerette autour de l’entrée de leur coquille, signe qu’ils sont arrivés à maturité. Vient alors le temps de la récolte, les escargots sont ramassés à la main, puis mis à sécher pendant quinze jours.
C’est ensuite dans son laboratoire que Florence procède à l’abattage par échaudage. Elle extrait ensuite les escargots de leur coquille un à un, ne conservant que le pied et la tête, tout en retirant les organes internes comme le foie, le poumon et l’appareil reproducteur. Les escargots sont ensuite cuisinés, puis surgelés afin de garantir une meilleure conservation.

Un goût prononcé pour la cuisine

La productrice trie également les plus belles coquilles, qui serviront à présenter les escargots cuisinés. Plusieurs produits sont proposés à la vente : en coquille, en «croquille» (présentés dans une gaufrette comestible), en feuilleté ou encore en cassolettes.
Côté saveurs, Florence Jeannot ne manque pas d’idées. Elle propose déjà des recettes classiques à la bourguignonne, à la provençale ou encore revisitées à la mode argonnaise. «Nous allons tester une version à la truffe, et une autre chèvre-miel», confie-
t-elle. Son goût prononcé pour la cuisine, elle le tient de son père. Elle n’hésite d’ailleurs pas à faire goûter ses créations à sa famille avant de les proposer à la vente.
Ses clients aussi participent à l’aventure : certains lui soufflent des idées de recettes ou de présentations. Pour aller à leur rencontre, Florence Jeannot participe régulièrement aux marchés de Belleville-sur-Meuse et de Sainte-Menehould. Mais c’est surtout pendant la période des fêtes qu’elle enchaîne les rendez-vous, notamment sur les marchés de Noël, où elle propose aussi un peu de produits frais. L’an dernier, plus de la moitié de la production a ainsi été écoulée entre novembre et janvier.
Elle valorise également ses escargots auprès des restaurateurs et ouvre chaque semaine les portes de son magasin à la ferme. Des livraisons sont aussi possibles, sous certaines conditions.
Ce changement de vie, Florence Jeannot en est pleinement satisfaite : «je conçois tout, de l’élevage à la vente. Et puis, j’aime beaucoup le contact avec les clients», confie-t-elle. Dernièrement, elle a même organisé une visite de l’exploitation pour répondre à la curiosité des plus gourmands. Et pourquoi ne pas aller plus loin ? «Et si on faisait venir les écoles des villages voisins ?», s’interroge-t-elle, avec un enthousiasme communicatif.
Elle souhaite valoriser cette filière encore trop méconnue. Car si l’escargot est un emblème de la gastronomie française, plus de 90 % de ceux consommés en France sont en réalité ramassés à l’état sauvage à l’étranger. Un paradoxe pour un produit si symbolique de la cuisine française.